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L’image à bout de souffle : entre transfert, matérialité et recyclage

Le 25 juillet 2000, le Concorde, mythe technologique, s’écrase après son décollage. Comment cette image de catastrophe perdure encore dans toutes les mémoires? À l’ère numérique des flux d’images, Mathieu Gruet s’intéresse la méthodologie de représentation des images médiatiques ; leur production, leur circulation, leur diffusion ainsi que leur réception.

Malgré la difficulté de dépasser la réalité médiatique de l’image, Mathieu Gruet affirme une « possibilité d’agir » sur l’image en perturbant son mouvement et sa temporalité via des processus d’appropriation et de manipulation. Élaborée à partir de l’image de l’appareil en feu, son installation Concorde’s last flight est une série de six impressions sur papier qui ont été par la suite froissées, puis numérisées, sérigraphiées, pour ensuite rouiller. Afin de réactiver le sens de cette image, Mathieu Gruet a façonné ce dispositif simulant le mouvement par la rotation de l’image. À la fois brillantes et abimées comme oxydées, ces images présentent des traces de poudre métallique éparpillée sur le papier. Face à cet insoutenable, et pour ne plus subir l’impact de ces images, Mathieu Gruet injecte un autre temps et dote ces images d’une nouvelle matérialité. Se référant à l’artiste américain Kelly Walker, il questionne à son tour la perte de l’origine par la représentation et porte son intérêt sur « l’infini recyclage des signes et des images, et leurs modes de consommation (...). Il ne s’agit pas de dénoncer ou de constater la perte de l’origine et de l’expérience réelle, mais de trouver des manières d’agir pertinentes – en tant qu’artiste – avec les images infiniment recyclées qui constituent le seul horizon de notre réalité. »1

Cette mise à distance induite par les nouvelles technologies facilite un désengagement généralisé. Quant lui, Mathieu Gruet essaye de réengager le corps et de réactiver l’image pour raviver notre désir de voir. Dans sa vidéo Deux ex machina, à partir d’un fichier corrompu, une imprimante 3D défaille. En exploitant une forme d’esthétisation des bugs de la machine, c’est une mise en échec de la gouvernance de la perfection technologique qui est à l’oeuvre. Dans ces paysages médiatiques, le fait de créer des temps morts permet d’interroger la construction d’un espace et de son image comme dans son installation Ground Zero, oscillant entre le dessin et l’image.

Mathieu Gruet agit sur l’image en lui permettant d’acquérir une nouvelle temporalité en parallèle de sa fugacité et de sa consommation. Oscillant entre le tragédie et la chute, l’image-source et l’arrêt sur image, le transfert et le recyclage, ses œuvres fonctionnent comme des principes actifs. Avec cette énergie combative, il vide ou ruine les images passées par le filtre médiatique. En fabriquant une dépouille cette image relique afin de lui donner corps, l’image n’est plus à envisager comme un document ou un référent, mais comme un médium. « Dans le fait de travailler d’après image photographique, aujourd’hui, il y a l’idée que de toute manière, tout été imaginé, on l’imagine déjà pour nous. Il n’est donc plus question de « lutter » en présentant une ultime variation de notre imagination, mais plutôt de “recycler” ces images qui finissent par constituer notre seul et unique paysage visuel, en ce sens c’est résister face ceux qui tente de prendre le contrôle de notre imagination. »2.

Marianne Derrien

1_ Anne Pontégnie, Kelley Walker, La possibilité d’agir, Les presses du réel, 2007, p. 67
2_Entretient avec l’artiste

Prix Canson Art School

«Les oeuvres de Mathieu Gruet nous parlent de fragments de mémoires effacées, d’une histoire dont l’écriture serait suspendue à « un vide trop présent ». L’artiste délimite des territoires pour mieux laisser s’exprimer le champ des possibles.»

Geneviève Maurizi